Les Fables de La Fontaine


L'âne et le chien

 

Il se faut entr’aider : c’est la loi de Nature.

 

L’âne un jour pourtant s’en moqua :

 

Et ne sais comme il y manqua,

 

Car il est bonne créature.

 

Il allait par pays accompagné du chien,

 

Gravement, sans songer à rien ;

 

Tous deux suivis d’un commun maître.

 

Ce maître s’endormit. L’âne se mit à paître :

 

Il était alors dans un pré,

 

Dont l’herbe était fort à son gré.

 

Point de chardons pourtant ; il s’en passa pour l’heure :

 

Il ne faut pas toujours être si délicat ;

 

Et faute de servir ce plat

 

Rarement un festin demeure.

 

Notre baudet s’en sut enfin

 

Passer pour cette fois. Le chien, mourant de faim,

 

Lui dit : « Cher compagnon, baisse-toi, je te prie ;

 

Je prendrai mon dîné dans le panier au pain. »

 

Point de réponse, mot : le roussin d’Arcadie

 

Craignit qu’en perdant un moment,

 

Il ne perdit un coup de dent.

 

Il fit longtemps la sourde oreille ;

 

Enfin il répondit : « Ami, je te conseille

 

D’attendre que ton maître ait fini son sommeil ;

 

Car il te donnera sans faute à son réveil,

 

Ta portion accoutumée.

 

Il ne saurait tarder beaucoup. »

 

Sur ces entrefaites un loup

 

Sort du bois, et s’en vient ; autre bête affamée.

 

L’âne appelle aussitôt le chien à son secours.

 

Le chien ne bouge, et dit : « Ami, je te conseille

 

De fuir, en attendant que ton maître s’éveille ;

 

Il ne saurait tarder ; détale vite, et cours.

 

Que si ce loup t’atteint, casse-lui la mâchoire.

 

On t’a ferré de neuf ; et si tu me veux croire,

 

Tu l’étendras tout plat. » Pendant ce beau discours

 

Seigneur Loup étrangla le baudet sans remède.

 

 

Je conclus qu’il faut qu’on s’entr’aide.


29/01/2012
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La belette entrée dans un grenier

 

Damoiselle Belette, au corps long et fluet,  

 

Entra dans un grenier par un trou fort étret :

 

Elle sortait de maladie.

 

Là, vivant à discrétion,

 

La galante fit chère lie,

 

Mangea, rongea : Dieu sait la vie,

 

Et le lard qui périt en cette occasion !

 

La voilà pour conclusion

 

Grasse, maflue, et rebondie.

 

Au bout de la semaine, ayant dîné son soûl,

 

Elle entend quelque bruit, veut sortir par le trou,

 

Ne peut plus repasser, et croit s’être méprise.

 

Après avoir fait quelques tours,

 

« C’est, dit-elle, l’endroit : me voilà bien surprise ;

 

J’ai passé par ici depuis cinq ou six jours. »

 

Un rat qui la voyait en peine

 

Lui dit : « Vous aviez lors la panse un peu moins pleine.

 

Vous êtes maigre entrée, il faut maigre sortir.

 

Ce que je vous dis là, l’on le dit à bien d’autres.

 

Mais ne confondons point, par trop approfondir,

 

Leurs affaires avec les vôtres. » 


29/01/2012
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La cigale et la fourmi

 

La cigale, ayant chanté

 

Tout l’été,

 

Se trouva fort dépourvue

 

Quand la bise fut venue.

 

Pas un seul petit morceau

 

De mouche ou de vermisseau.

 

Elle alla crier famine

 

Chez la fourmi sa voisine,

 

La priant de lui prêter

 

Quelque grain pour subsister

 

Jusqu’à la saison nouvelle.

 

« Je vous paierai, lui dit-elle,

 

Avant l’Oût, foi d’animal,

 

Intérêt et principal. »

 

La fourmi n’est pas prêteuse ;

 

C’est là son moindre défaut.

 

« Que faisiez-vous au temps chaud ?

 

Dit-elle à cette emprunteuse.

 

- Nuit et jour à tout venant

 

Je chantais, ne vous déplaise.

 

Vous chantiez ? J’en suis fort aise.

 

Eh bien ! Dansez maintenant. » 


29/01/2012
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Le chat et les deux moineaux

 

Un chat contemporain d’un fort jeune moineau

 

Fut logé près de lui dès l’âge du berceau ;

 

La cage et le panier avaient même pénates.

 

Le chat était souvent agacé par l’oiseau :

 

L’un s’escrimait du bec, l’autre jouait des pattes.

 

Ce dernier toutefois épargnait son ami.

 

Ne le corrigeant qu’à demi :

 

Il se fût fait un grand scrupule

 

D’armer de pointes sa férule.

 

Le passereau moins circonspect,

 

Lui donnait force coups de bec.

 

En sage et discrète personne,

 

Maître Chat excusait ces jeux :

 

Entre amis, il ne faut jamais qu’on s’abandonne

 

Aux traits d’un courroux sérieux.

 

Comme ils se connaissent tous deux dès leur bas âge,

 

Une longue habitude en paix les maintenait ;

 

Jamais en vrai combat le jeu ne se tournait ;

 

Quand un moineau du voisinage

 

S’en vint les visiter, et se fit compagnon

 

Du pétulant Pierrot et du sage Raton.

 

Entre les deux oiseaux il arriva querelle ;

 

Et Raton de prendre parti.

 

« Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle

 

D’insulter ainsi notre ami !

 

Le moineau du voisin viendra manger le nôtre ?

 

Non, de par tous les chats ! » Entrant lors au combat,

 

Il croque l’étranger. « Vraiment, dit Maître Chat,

 

Les moineaux ont un goût exquis et délicat ! »

 

Cette  réflexion fit aussi croquer l’autre.

 

 

Quelle morale puis-je inférer de ce fait ?

 

Sans cela toute fable est un œuvre imparfait.

 

J’en crois voir quelques traits ; mais leur ombre m’abuse,

 

Prince, vous les aurez incontinent trouvés :

 

Ce sont des jeux pour vous, et non point pour ma Muse,

 

Elle et ses sœurs n’ont pas l’esprit que vous avez.


29/01/2012
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Le chat, la belette et le petit lapin

 

Du palais d’un jeune lapin

 

Dame Belette un beau matin

 

S’empara ; c’est une rusée.

 

Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée.

 

Elle porta chez lui ses pénates, un jour

 

Qu’il était allé faire à l’Aurore sa cour,

 

Parmi le thym et la rosée.

 

Après qu’il eût brouté, trotté, fait tous ses tours,

 

Jeannot Lapin retourne aux souterrains séjours.

 

La belette avait mis le nez à la fenêtre.

 

« Ô dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître ?

 

Dit l’animal chassé du paternel logis :

 

Holà, Madame la Belette,

 

Que l’on déloge sans trompette,

 

Ou je vais avertir tous les rats du pays. »

 

La dame au nez pointu répondit que la terre

 

Etais au premier occupant.

 

C’était un beau sujet de guerre

 

Qu’un logis où lui-même il n’entrait qu’en rampant !

 

« Et quand ce serait un royaume

 

Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi

 

En a pour toujours fait l’octroi

 

A Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume,

 

Plutôt qu’à Paul, plutôt qu’à moi. »

 

Jean Lapin allégua la coutume et l’usage.

 

« Ce sont, dit-il, leurs lois qui m’ont de ce logis

 

Rendu maître et seigneur, et qui, de père en fils,

 

L’ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis.

 

Le premier occupant est-ce une loi plus sage ?

 

- Or bien sans crier davantage,

 

Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis. »

 

C’était un chat vivant comme un dévot ermite,

 

Un chat faisant la chattemite,

 

Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,

 

Arbitre expert sur tous les cas.

 

Jean Lapin pour juge l’agrée.

 

Les voilà tous deux arrivés

 

Devant sa majesté fourrée.

 

Grippeminaud leur dit : « Mes enfants, approchez,

 

Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause. »

 

L’un et l’autre approcha ne craignant nulle chose.

 

Aussitôt qu’à portée il vit les contestants,

 

Grippeminaud le bon apôtre,

 

Jetant des deux côtés la griffe en même temps,

 

Mit les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre.

 

 

Ceci ressemble fort aux débats qu’on parfois

 

Les petits souverains se rapportant aux rois. 


29/01/2012
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Le corbeau et le renard

 

Maître Corbeau, sur un arbre perché,

 

Tenait en son bec un fromage.

 

Maître Renard, par l’odeur alléché,

 

Lui tint à peu près ce langage :

 

« Et bonjour, Monsieur du Corbeau.

 

Que vous êtes joli ! Que vous me semblez beau !

 

Sans mentir, si votre ramage

 

Se rapporte à votre plumage,

 

Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. »

 

A ces mots, le corbeau ne se sent pas de joie ;

 

Et pour montrer sa belle voix,

 

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.

 

Le renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,

 

Apprenez que tout flatteur

 

Vit aux dépens de celui qui l’écoute.

 

Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »

 

Le corbeau, honteux et confus,

 

Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.


29/01/2012
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Le héron

 

Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où

 

Le héron au long bec emmanché d’un long cou :

 

Il côtoyait une rivière.

 

L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours ;

 

Ma commère la carpe y faisait mille tours

 

Avec le brochet son compère.

 

Le héron en eût fait aisément son profit :

 

Tous approchaient du bord, l’oiseau n’avait qu’à prendre ;

 

Mais il crut mieux faire d’attendre

 

Qu’il eût un peu plus d’appétit :

 

Il vivait de régime, et mangeait à ses heures.

 

Après quelques moments l’appétit vint : l’oiseau

 

S’approchant du bord vit sur l’eau

 

Des taches qui sortaient du fond de ces demeures.

 

Le mets ne lui plut pas ; il s’attendait à mieux,

 

Et montrait un goût dédaigneux

 

Comme le rat du bon Horace.

 

« Moi des tanches ? dit-il, moi héron que je fasse

 

Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ? »

 

La tanche rebutée, il trouva du goujon.

 

« Du goujon ! C’est bien là le dîner d’un héron !

 

J’ouvrirais pour si peu le bec ! Aux dieux ne plaise ! »

 

Il l’ouvrit pour bien moins : tout alla de façon

 

Qu’il ne vit plus aucun poisson.

 

La faim le prit, il fut tout heureux et tout aise

 

De rencontrer un limaçon.


29/01/2012
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Le loup et l'agneau

 

La raison du plus fort est toujours la meilleure :

 

Nous l’allons montrer tout à l’heure.

 

 

Un agneau se désaltérait

 

Dans le courant d’une onde pure.

 

Un loup survient à jeun qui cherchait aventure,

 

Et que la faim en ces lieux attirait.

 

« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? 

 

Dit cet animal plein de rage :

 

Tu seras châtié de ta témérité.

 

- Sire, répond l’agneau, que Votre Majesté

 

Ne se mette pas en colère ;

 

Mais plutôt qu’elle considère

 

Que je me vas désaltérant

 

Dans le courant,

 

Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,

 

Et que par conséquent, en aucune façon,

 

Je ne puis troubler sa boisson.

 

- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,

 

Et je sais que de moi tu médis l’an passé.

 

- Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?

 

Reprit l’agneau, je tette encor ma mère.

 

- Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.

 

- Je n’en ai point. – C’est donc quelqu’un des tiens :

 

Car vous ne m’épargnez guère,

 

Vous, vos bergers, et vos chiens.

 

On me l’a dit : il faut que je me venge. »

 

Là-dessus, au fond des forêts

 

Le loup l’emporte, et puis le mange,

 

Sans autre forme de procès.


29/01/2012
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